samedi 14 juin 2014

Revenir à la ligne

Chaque Coupe du Monde a ses singularités, ses particularismes, ses gestes, qui fondent son identité et s'agrègent à la mémoire du téléspectateur pour dessiner en quelque images le souvenir d'une édition. En 2010, c'était par exemple un son, celui du vuvuzela, mélopée stridente, d'une élégance bovine, qui couvrait chaque rencontre sous la menace d'un essaim d'abeilles avinées. 

En seulement cinq matchs et deux journées, un motif semble déjà surgir à travers deux tentatives de cadrer le jeu dans un espace ordonné et géométriquement (dé)limité. C'est même le motif ancestral par essence de toute pratique sportive réglementée qui fait son grand come-back : la ligne.

L'arbitre chie en spray

Brésil-Croatie, match d'ouverture. La Seleçao obtient un excellent coup-franc à quelques mètres de la surface de réparation. Le traditionnel mur croate se place à 9 mètres 15 du tireur. Il est comme de coutume fortement agité, nécessairement enclin à piétiner vers l'avant pour glaner quelques précieux centimètres. Beaucoup trop d'anarchie pour Yuichi Nishimura : folie de l'arbitre japonais, qui compte neuf pas jusqu'au mur, sort de sa poche une petite bombe et trace en spray une ligne en mousse pour échauder l'ardeur des pieds croates. Les commentateurs ne s'affolent pas et affirment sans broncher que « c'est une mousse prévue pour s'effacer naturellement au bout d'une minute » et que « c'est une pratique fréquente sur les terrains d'Amérique du sud ». Oui mais en Coupe du Monde? On vient en fait d'assister à l'irruption d'un « geste » inédit dans une compétition internationale, au moins aussi étonnante que celle d'un geste sportif un peu fou comme le coup du Scorpion de René Higuita ou le service à la cuillère de Michael Chang

 

Bien goalée cette ligne !

Parlons tennis tiens : les amateurs de Grand Chelem connaissent tous cette technologie, somme toute assez récente, qui consiste, après un point litigieux, à retracer numériquement le parcours d'une balle à la trajectoire douteuse. On peut y déceler, au millimètre près, si l'engin à poils jaunes a bel et bien embrassé la ligne, ne fut-ce que d'un baiser volé. Étrangement, les instances officielles du foot semblent se refuser à intégrer au jeu ce facteur vidéo, ou du moins s'appliquent à en retarder l'échéance. Et l'on peut tout à fait, diront les romantiques, louer ce choix de la faillite - potentielle - de l’œil humain face à l'irrévocable de la machine. Les âmes chafouines, persuadées dans leur sang que le monde est corrompu jusqu'à l'os, diront aussi que tout arbitrage vidéo peut vite compliquer la tâche d'un match arrangé ou d'un arbitre vendu. Mais revenons à ce Brésil-Croatie, pour le coup pas avare en faillites arbitrales, qui nous a offert sur un plateau les prémisses d'un regard assisté par ordinateur dans le football moderne. Cette « Goal-line technology » nous démontre que, oui, après le CSC de Marcelo, oui, après la frappe vicieuse de Neymar, le ballon a effectivement franchi la ligne et que, ben oui, ça fait but. Ah, sans déconner ?



Il fallait bien que la FIFA présente son nouveau jouet mais y avait quelque chose de foncièrement risible à découvrir ces apartés gadgets, qui avec tout le sérieux d'une technologie numérique, reconstituent un fait de jeu visible par tous. Pas certain que la Goal-line technology soit réellement utile une seule fois lors des 64 matchs, mais elle sera sans doute vue d'un bon œil par nos amis anglais, volés d'un but en 2010 face aux allemands. Injustice assez terrible puisque même les ralentis des écrans géants ne savaient mentir aux yeux des joueurs, aux yeux du stade : ils repassaient en boucle ce ballon, une minasse de Franck Lampard sur la transversale, qui avait allègrement dépassé la ligne de but. Le football peut-il se résumer à une histoire de lignes ? Rien de nouveau sous le soleil : Maradona, seul Dieu vivant du foot, a depuis longtemps validé cette hypothèse.

YLB


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