jeudi 10 juillet 2014

Rio à l'ombre : Christian, jardinier


« Une belle pelouse, c’est déjà presque un match gagné », aime répéter Christian, philosophe à la main verte, sans préciser pourtant quelle équipe remportera la victoire. Après tout, il y a toujours deux clubs pour se partager une même surface de gazon ! Une question que notre jardinier des stades balaie d’un revers de la main : « La terre est à tout le monde ! ».

C’est qu’il l’aime, son gazon, Christian. Et il est toujours affligé de voir le triste état des terrains de Ligue 1, sans parler de ceux des niveaux inférieurs. Bien sûr, il sait que les petits clubs manquent de moyens pour l’entretien de leurs pelouses, mais la Ligue 1, tout de même ! « Un terrain pourri, c’est un match perdu d’avance », grommelle-t-il, fataliste, en étudiant d’un œil averti la repousse de l’herbe du Maracana.

Christian a parcouru sur sa tondeuse des kilomètres de terrains de foot, depuis ceux des clubs de CFA et de Division d’Honneur jusqu’aux grands stades internationaux. En s'envolant pour le Brésil, c'est un peu un rêve de gosse qu'il a réalisé. Une autre façon d’appréhender le monde du ballon rond. « Croyez-moi, explique-t-il, on reconnaît les joueurs qui ont commencé leur carrière sur des terrains bosselés, crevassés, impraticables… Il leur reste toujours quelque chose de cette époque-là, une foulée plus lourde, une manière plus sèche de frapper le ballon, comme s’ils craignaient que sa mollesse les trahisse… » Il arrache consciencieusement une touffe d’herbe qui a échappé aux lames de la tondeuse et ajoute, l’œil dans le vague : « On ne se sort jamais vraiment indemne d’une telle expérience. »

Est-ce que ça ne lui fait pas mal, alors, de voir ses belles pelouses saccagées par le passage de vingt-deux joueurs acharnés montés sur crampons ? « Vous savez, dit-il, ça fait partie du métier : je tonds la pelouse, ils courent dessus, et je repasse derrière eux. » Bien sûr, il y a des moments où son cœur se serre. Un Zlatan, par exemple, n’est pas seulement dangereux pour les tibias de ses adversaires : c’est aussi un cauchemar pour le plus stoïque des jardiniers. S’il était arbitre, Christian lui brandirait bien un carton jaune pour son manque de respect caractérisé envers le gazon. « Mais, lance-t-il dans un grand éclat de rire, si j’étais arbitre, je ne serais pas jardinier ! ».

Raphaël Juldé

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