Vous en avez marre.
Okay, vous êtes le profil type du sportif de divan, bière à la main et jogging
craspeck sur le cul. Mais vous en avez marre que votre femme vous fasse la
gueule à chaque fois que vous voulez vous regarder un bon match, et que tout le
monde autour de vous vous considère comme un gros beauf inculte. Déjà, vous
n’êtes pas si gros. Et bientôt, grâce à moi, vous ne serez plus si inculte. Et
il fera moins le malin, votre pote qui la ramène toujours parce qu’il aurait pu
être prof d’histoire s’il avait terminé son master, quand vous lui montrerez
que vous en savez plus que lui sur les origines du foot. Ah ! Comme quoi,
on peut aussi se cultiver entre deux bières, pendant les arrêts de jeu…
Sheffield FC |
Oui, je suis vraiment désolé, ce cours a pris un peu de
retard. J’ai été pas mal occupé ces derniers jours, avec la sortie des poules,
tout ça… Vous avez vu un peu ce France-Nigéria ? Pas mal, les petits
Bleus, hein ? On se fout pas de vous, à FIFA PAPA, quand même ! Hop,
suspense jusqu’au bout, des cages adverses qui paraissent imprenables, et nous
bim ! À la toute fin du match : et un, et deux, et quarts de
finale ! Ne nous remerciez pas, c’est cadeau… Vendredi, on se paye les
Allemands, ensuite on s’occupe du Brésil, et je vous promets une finale
France-Belgique de toute beauté.
Donc, on en était resté à 1314, le décret de Farndone
interdisant les jeux de balle, dont la traduction en anglais fait apparaître
pour la première fois ce terme : « foot
balls ». C’est bon, vous y êtes ?
III. – Soule, Rugby
et football
Les décrets et les interdits se multiplient. En ces temps
de guerre, en Angleterre comme en France, on préfère voir les hommes s’adonner
au tir à l’arc, un sport plus utile que les jeux de balle. On craint aussi que
la soule n’éloigne le travailleur de ses outils. Et je vous rappelle qu’à
l’époque, ce jeu se pratique dans les rues, qu’un village entier peut servir de
limites au terrain ! Et que tous les coups sont permis, à peu près… Il en
résulte une certaine pagaille, certes bon enfant, un peu comme un soir de
victoire algérienne de nos jours, mais qui inquiète un peu les autorités.
Pourtant, les parties continuent de se jouer avec autant de hardiesse qu’avant.
Nique la police ! Un gentilhomme normand, Gilles de Gouberville, raconte
quelques mémorables parties de soule dans son Journal. Sans doute est-il l’un des tous premiers commentateurs
sportifs… Nous sommes le 15 janvier 1551 :
« Nous allasmes
tous ensemble à Sainct Mor et fusmes le reste du jour à la choule, qui dura
jusques à jour faillant, y estoit le sieur de Couriac cappitaine de Cherebourg,
le sieur Mareschal, Pierre de Sainct Jehan et plus de cinq centz aultres
personnes tant d’un costé que d’aultre. Cantepye heult ung sault à l’enreverse,
missire Guillaume Le Lièvre, sur luy cul en gron, par la faulte de Jehan Roger
de Cherebourg. Le dit Cantepye en cuyda mourir, et demeura longtemps presque
evany. »
Ailleurs, il évoque une autre partie durant laquelle, la
soule ayant été envoyée à la mer, les joueurs ont poursuivi le match à la nage.
La pratique de la soule s’est poursuivie en France, notamment en Bretagne et en
Normandie, jusqu’au XIXe siècle, avant de tomber petit à petit en
désuétude. C’est au même moment que les Anglais codifient les règles de leur football. En Angleterre, le Highway Act
de 1835 interdit la pratique du football sur les routes, ce qui revient à dire
que la partie devra se dérouler dans un espace clos. Les écoles d’Eton, de
Charterhouse, de Rugby ou de Harrow, entre autres, utilisent leurs propres
terrains pour délimiter l’espace de jeu.
En octobre 1848, des représentants de l’université de
Cambridge se réunissent pendant plus de sept heures pour aboutir au premier
code du jeu. Deux clans s’opposent : d’un côté, les anciens élèves d’Eton
ne jurent que par un jeu de ballon pratiqué au pied, le dribbling game. De l’autre, ceux de la Rugby School défendent une
version plus musclée du jeu, avec utilisation des mains. De ce débat houleux,
les élèves d’Eton sortiront vainqueurs, et les règles de base de notre football
sont déjà clairement posées.
Mais la pratique du football en Angleterre est une
activité principalement scolaire, et les règles de Cambridge ne font pas
l’unanimité. Chaque établissement préfère continuer à suivre son propre
règlement. Autant dire que ce n’est pas gagné, et que les rivalités entre
collèges sont nombreuses.
Dix ans après les règles de Cambridge, c’est un club non
scolaire qui édicte les siennes. Le Sheffield FC, créé en 1857, s’inspire très
largement des règles de Cambridge pour rédiger ses Rules, Regulations & Laws of the Sheffield Foot-Ball Club. En
1860, le Sheffield FC dispute son premier match interclubs avec le Hallam FC.
Les deux équipes sont composées de seize joueurs.
En 1862, John Charles Thring, l’un des fondateurs des
règles de Cambridge, désormais enseignant à la Uppingham School, rédige une
nouvelle version de ces règles, ajoutant notamment l’interdiction des
croche-pieds et des coups. Les gars de Rugby commencent vraiment à se dire que
les footballeurs pratiquent un sport de gonzesses…
Un truc que les Anglais ne connaissent pas encore, dans
les années 1860, c’est la passe. Ils pratiquent le dribbling game, qui consiste à courir derrière la balle en évitant
les adversaires, tandis que les coéquipiers entourent le joueur en possession
de la balle pour le protéger. Les passes en avant sont interdites, les passes
latérales ou en arrière sont peu fréquentes. Ce sont les Ecossais, dont le jeu
est déjà nettement plus évolué que celui des Anglais, qui introduiront le passing game dans les équipes du Nord de
l’Angleterre. Le Queen’s Park FC de Glasgow révolutionne déjà le jeu en
développant une formation en 2-3-5 alors que les clubs anglais fonctionnaient
généralement en 2-2-6. La passe se généralise en Angleterre au début des années
1880, quand les clubs se mettent à recruter des joueurs écossais.
La Fédération anglaise de football a été créée en 1863, et
la professionnalisation du jeu est autorisée en 1885. Le Nord de l’Angleterre,
dominé par les classes ouvrières, intègre immédiatement le football
professionnel, au contraire du Sud, qui considère que les clubs de football
doivent être réservés à une élite sociale. Le premier championnat de l’histoire
du football, qui se déroule en 1888-1889, n’oppose que des clubs professionnels
du Nord.
Ça y est, maintenant : le football tel qu’on le
connaît existe. On nage en plein dedans. Il ne manque plus que les vignettes
Panini et les commentaires de Thierry Rolland pour s’y croire complètement.
Raphaël Juldé
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