dimanche 13 juillet 2014

Raccrocher les crampons

« Le football, c’est comme les échecs, mais sans les dés ». 






George Best : cinquième Beatles
Le cérémonial prend des airs funestes en ce dimanche saint. Jonas s’installe sur sa chaise, prie-dieu inconfortable et, songeur, roule chemise et pantalon dans un détachement relatif. En boule, ses vêtements rejoignent ses autres effets personnels dans un casier rouillé à son nom : JONAS GUILMARD. L’étiquette, bien que légèrement jaunie et racornie, indique que le temps a bel et bien passé. Le capitaine de l’équipe prolonge le rituel, range sa montre et fixe du regard la photo de George Best accrochée au fond du placard. C’est le silence de mort dans les vestiaires et l'odeur des maillots rances. Jonas arrive toujours au moins deux heures avant le reste de l’équipe pour se repaître de ce calme dominical qui encourage à la prise de distance, à la réflexion philosophique, voire même à la métaphysique les jours de pluie. Puis commencent les étirements : les os craquent, les muscles s’échauffent, les pieds s’assouplissent et le corps de Jonas devient cette machine inébranlable. Une légère douleur au mollet droit embarrasse cependant Jonas depuis bientôt trois semaines. Judéo-chrétien, il endure, mutique, ne laissant rien paraître. Un capitaine meurt mais ne se rend pas. 

Les copains arrivent en trombe ; certains sentent encore la vinasse et les coïts sans lendemain. On s’embrasse, on se chatouille. Chômeurs, chefs d’entreprise, employés de bureau, ouvriers, grands, maigres, gros, costauds, chétifs, bruns, blonds, roux, mâtes, blêmes : toutes ces différences sociales s’effacent l’espace d’une partie. Le match du jour n’est pas un match anecdotique : c’est le dernier de Jonas. Décision mûrement réfléchie : dans plus de 90 minutes, il raccroche définitivement les crampons. Terminés les réveils à sept heures du matin, finis les entraînements dans la boue, oubliées les gueules de bois à vomir ses tripes dans les cages… 

Dans le regard de ses partenaires s’inscrit une indicible mélancolie. Jonas, debout au centre des vestiaires, s’exprime une dernière fois, motive les troupes, trouve les mots qui font mouche, joue sur l’orgueil des uns et des autres, encourage les médiocres comme les bons joueurs. Une mouche vole et se pose sur une paire de chaussettes. Le robinet du lavabo fuit encore : ploc ploc ploc ploc ; métronome agaçant. 

On entre sur le terrain : ça sent le purin mais on respire à plein poumons. Et cette pointe de douleur qui fige son sourire. Raccrocher les crampons et dire adieu à cette fraternité qui sue sous les bras, qui chlingue des aisselles. Saluer une dernière fois l’arbitre. Lui aussi veut prononcer un mot gentil avant le match mais, le sifflet coupé dans son élan, il se contente d’un geste de tendresse maladroit et effleure l’épaule de Jonas : c'est bien suffisant. 

Le score final n’a pas d’importance, la presse locale le résumera en une ligne dans les pages sportives du lundi... Quant au jeu pratiqué ce jour, il est à la hauteur des minces ambitions de l’équipe. Du coeur, des jambes, de l'engagement mais peu de buts... Retour aux vestiaires. Ambiance morbide. Medhi, l’attaquant vedette, brise le tabou : « Bon bah on voulait te remercier Jonas… Voilà… Au nom du club… Pour nous t’es bien plus qu’un gardien, plus qu'un capitaine… ». Cyril reprend la parole : « Oui, voilà… Un grand du football départemental s’en va et c’est un peu de l’esprit de Coubertin qui part… Enfin, ce qu’il en reste… Voilà… Alors pour ton départ on t’a fait un petit cadeau de la part des dirigeants qui nous attendent à la buvette et de de la part de toute l’équipe ici présente… ». Jeff sort alors un maillot aux couleurs du club dédicacé par Joël Bats, le goal frisé et vaguement poète, emblême des années 80. Jonas, jusqu’alors presque indifférent, explose de rire. La chanson « Soli solitude » démarre en trombe sur le vieux radio-cassette : un slow s’improvise entre les joueurs tandis que les bouchons de mousseux explosent en une symphonie bruitiste. Des cris obscènes fusent dans tous les coins, on se marche sur les pieds : Furiani en plus cool. Symboliquement, Jonas accroche ses chaussures à un crochet avant d'engloutir une bouteille entière dans le gosier. 

Dj Zukry


Mi-temps Allemagne/Argentine



L’arbitre vient de siffler, et vous réagissez au quart de tour, programmé, automatisé. Votre cerveau vient de quitter la surface de réparation pour se connecter au frigo, tiroir de gauche, sous les laitues : là où vous rangez vos bières. Cette Coupe du Monde vous a transformé en chien de Pavlov : un coup de sifflet et vous salivez, vous vous humectez les lèvres, vous avez besoin de cette canette. Et de pisser, aussi. Votre vessie a mis ses warnings depuis la 42e minute, mais c’est pendant les arrêts de jeu qu’elle a vraiment commencé à vous harceler comme un boxeur qui vous aurait coincé dans les cordes. L’être humain n’est-il donc qu’un animal réagissant à des stimuli sonores ou visuels, et rien de plus ? Vous réfléchissez à la question tout en faisant pleurer le colosse, et en vous la secouant vous décidez qu’au fond, vous vous en foutez royalement. La seule chose qui vous inquiète, c’est ce que vous allez bien pouvoir foutre, maintenant ? La dernière mi-temps de cette Coupe du Monde vient d’être sifflée. Désormais, comment vous saurez à quel moment vous avez envie d’une bière ? Comment vous saurez que le temps est venu d’aller pisser ou de vous couper un morceau de sauciflard ?

Le ventre plus léger et la main lestée d’une binouze bien fraîche, vous allez pouvoir profiter de ce quart d’heure suspendu pour :
• Essayer de vous rappeler votre vie d’avant la Coupe du Monde. Comment faisiez-vous, bordel, pour vous y retrouver dans ce chaos métaphysique ?

• Aller voir s’il reste pas un yaourt au bifidus actif dans le frigo : vous savez déjà qu’après le Mondial, être gros, ça va faire ringard.

• Trouver d’autres sujets de conversation que le foot. Tiens, le Tour de France, c’est pas mal, ça, le Tour de France…

• Il a pas pris du bide, Gérard Holtz ?


Aussi, toute l’équipe de Fifa Papa, soucieuse de respecter vos angoisses existentielles, a tenu à leur donner du rythme. Rien de tel que les froissements métalliques de la new wave teutonne pour peupler d’un lyrisme synthétique le désespoir qui vous étreint alors que déjà s’annonce la fin de l’aventure...


Allemagne vs Argentine : les hymnes et la compote des équipes

Double ration avec Afterfives, ce soir, pour ce dernier match. Tout d'abord, l'inoubliable séquence des hymnes à la noix : main sur le coeur, regard porté vers l'horizon, foi nationale.

Puis, la compote des équipes : litanie sportive où chaque joueur des deux équipes en présence est salué respectueusement. 







Allemagne vs Argentine


Allez, cette fois, c’est la dernière ! On a éliminé toute la mauvaise graine, on n’a gardé que le meilleur. Les deux meilleurs ! Les deux équipes les plus couillues, celles qui vous feront mouiller dans vos pantacourts tout l’été. Le reste : aux oubliettes ! Tenez, je ne me souviens même plus de l’affiche d’hier, vous savez : la « petite finale » ? C’était qui, déjà, les équipes ?... Oui, peu importe, on s’en fout. C'est ce qu'on aime tous dans le darwinisme ; ça nous excite cette sélection presque naturelle ! Les premiers seront les premiers et merde aux Evangiles !

Nom d’une Blitzkrieg, on y est ! Soixante-trois matchs, il a fallu se farcir, pour arriver à départager ces deux-là ! Il n’en reste plus qu’un, et on saura enfin qui aura droit à sa petite étoile mignonnette sur son beau maillot à suer dedans… L’Allemagne contre l’Argentine. Franchement, j’aurais pas parié sur eux. Bon, de toute façon, je parie pas, ça règle le problème. Moi, vous l’aurez compris, le foot, c’est pas trop mon truc. Faudra pas compter sur moi pour la Ligue des champions ou l’Euro 2016 ! De toute façon l’euro, en 2016, ça vaudra sans doute pas plus qu’un ou deux roubles…

L'entraîneur Joachim Löw donne d'ultimes conseils à ses joueurs avant la rencontre

En ce qui me concerne, l’Allemagne est très nettement remontée dans mon estime, ces derniers jours. Certes, ces sales Boches nous ont battus – une fois de plus – en quart de finale. Mais quand on voit ce qu’ils ont fait subir au Brésil en demi, on se dit qu’on s’en sort pas trop mal, tout bien réfléchi. On a même plutôt eu droit à un régime de faveur ! « Ces messieurs allemands sont des gens très corrects », comme disait ma grand-mère… Corrects avec les Bleus, hein. Parce qu’avec les petites Brésiliennes, là, on aurait plutôt dit un déferlement de barbares venus pratiquer un viol collectif en chantant Heili Heilo Heila !

De son côté, la Fédération argentine de football (autrement dit, la FAF !) a écopé d'une amende de 247 000 euros pour n'avoir présenté que son sélectionneur les veilles de match en conférence de presse, sans qu'il soit accompagné d'au moins un joueur. Normalement, le sélectionneur est accompagné de son capitaine. Lionel Messi, ça l'emmerde de causer ; lui c'est sur le terrain qu'il s'exprime. Et plutôt bien, faut en convenir ! Plutôt qu'ânonner quelques clichés méchamment convenus ("Un match se joue au mieux en 90 minutes", "Le foot c'est avant tout une équipe"...), il préfère, à juste titre, dribbler, envoyer des caviars à ses coéquipiers et embrasser le trophée à la fin... Un choix de vie, le Léo. Un idéal. 


Joue-la pas perso et file-moi le ballon !

Un téléspectateur assez particulier pourrait être devant son écran pour cette finale. En l'occurrence, le pape François regardera probablement uniquement la première mi-temps (le match étant diffusé à 21h00 - heure du Vatican) car notre sainteté doit se pieuter avant 22h00 (sinon l'envoyé de dieu sur terre est dans le coltard toute la journée et il peut vite devenir irritable). 

Raphaël Juldé & Dj Zukry

Rio à l'ombre : Mikkel, commentateur sportif

      

Dans le milieu du football, je viens d'en faire la terrible expérience, c’est la course à celui qui trouvera le sujet le plus original. D’ailleurs vous avez  clairement remarqué que peu d'observateurs s’intéressent au jeu, à la tactique, aux gestes, à la stratégie, aux mouvements des joueurs sur le terrain… Non, ce que tout le monde quête, c’est la perle rare, l’anecdote qui croustille, le scandale, le clash, le buzz, et, dans ce domaine-là, on peut dire que je me démerde. 

Car je viens de dénicher un type pas possible, qui ressemble à rien, enfin si, justement… Depuis le début de cette Coupe du monde, je l’avais bien repéré dans les stades, avec son côté ours polaire, ses chaussures en peau de rennes et ses vestes fantaisie. Mikkel, car c’est de lui dont il s’agit, vient du pays du Père Noël (si des enfants lisent cette chronique, il va de soi que le vieux barbu existe et que c’est lui, et non vos parents, qui vous achètent ces merveilleuses tablettes numériques avant le 25 décembre).

La vie de Mikkel est admirable, ce qui m’oblige à travailler mon portrait (d'autant qu'il s'agit de mon dernier Rio à l'ombre), à le peaufiner, à le sublimer (je vais devoir user d’une certaine forme de lyrisme : avalanche de superlatifs, overdose de paraboles...). Fils de chasseur, petit-fils de chasseur, et souvent chasseur lui-même, mon ami Mikkel est né sur le territoire lapon. Vivant dans une hutte de tourbe, enfant, en compagnie de ses parents et de sa soeur, il migrait, coeur léger mais bagages lourds, d’une région l’autre, toujours en quête de rennes à abattre. Adolescent, il s’évadait par la littérature et dans sa tête cohabitaient des êtres étranges : monstres sanguins, fées cochonnes, animaux terrifiants, goules érotomanes, insectes massacreurs... Quelle imagination fertile chez ce Mikkel !

Notre ami lapon (il préfère que l'on dise "sami" car il souhaite que mes mots soient précis, finement choisis. Il me le fait comprendre dans son dialecte  à lui et je peux vous dire que c’est fichtrement efficace car la gestuelle est souvent à la hauteur du guttural des phonèmes)… Mikkel, au gré de la conversation, affirme que la nature a une âme et que l'hiver il chante avec des boules de neige au fond de la gorge. C'est tellement lui, tout cela !

Trinquant avec nos bouteilles de vodka achetées dans une minable supérette de Rio, Mikkel me raconte comment, par hasard, alors qu’il visite une boutique de fringues en Finlande (sic), il tombe nez à nez avec l’un des commentateurs locaux les plus fameux. Mikkel l’aborde, ne sachant pas exactement qui est ce type qu’il a aperçu dans de vieux journaux aux odeurs de poissons. D’instinct le courant passe (il faut dire que Mikkel est absolument magnétique et que ses yeux vous transpercent jusqu’au malaise ou la pâmoison). Ainsi, le présentateur-vedette de TV7 l’invite à poursuivre cette discussion dans les locaux de cette chaîne publique.

On estime qu’il y aurait 70 000 Samis répartis en Russie, Finlande, Norvège et Suède. Autrement dit, 70 000 téléspectateurs potentiels (car, ne nous voilons pas la face, mettons à mal notre idéalisme écologique, nos amis Samis s’équipent également d'écrans larges pour passer tranquillement, en famille, leurs longues nuits d’hiver et leurs courtes journées d’été). Or, sur TV7 comme sur France Télévisions, on ne crache jamais sur des téléspectateurs, même s’il s’agit d’une population plutôt traditionnaliste. 

Et c’est ainsi, au terme d'un parcours qu'il serait trop fastidieux d'évoquer ici mais que Mikkel dévoilera probablement dans une autobiographie, qu'il est devenu le premier commentateur sportif « lapon ». 

Trèves de causerie, vidons cette bouteille et préparons-nous pour ce Allemagne-Argentine qui, espérons-le, sera moins pénible que celui de 1990 (que Mikkel avait d'ailleurs commenté).


Dj Zukry