Chaque
Coupe du Monde a ses singularités, ses particularismes, ses gestes,
qui fondent son identité et s'agrègent à la mémoire du
téléspectateur pour dessiner en quelque images le souvenir d'une
édition. En 2010, c'était par exemple un son, celui du vuvuzela,
mélopée stridente, d'une élégance bovine, qui couvrait chaque
rencontre sous la menace d'un essaim d'abeilles avinées.
En
seulement cinq matchs et deux journées, un motif semble déjà
surgir à travers deux tentatives de cadrer le jeu dans un espace
ordonné et géométriquement (dé)limité. C'est même le motif
ancestral par essence de toute pratique sportive réglementée qui
fait son grand come-back : la ligne.
L'arbitre
chie en spray
Brésil-Croatie,
match d'ouverture. La Seleçao obtient un excellent coup-franc à
quelques mètres de la surface de réparation. Le traditionnel mur
croate se place à 9 mètres 15 du tireur. Il est comme de coutume fortement agité, nécessairement enclin à piétiner vers l'avant pour glaner quelques
précieux centimètres. Beaucoup trop d'anarchie pour Yuichi
Nishimura : folie de l'arbitre japonais, qui compte neuf pas jusqu'au
mur, sort de sa poche une petite bombe et trace en spray une ligne en
mousse pour échauder l'ardeur des pieds croates. Les commentateurs
ne s'affolent pas et affirment sans broncher que « c'est une
mousse prévue pour s'effacer naturellement au bout d'une minute »
et que « c'est une pratique fréquente sur les terrains
d'Amérique du sud ». Oui mais en Coupe du Monde? On vient en
fait d'assister à l'irruption d'un « geste » inédit
dans une compétition internationale, au moins aussi étonnante que
celle d'un geste sportif un peu fou comme le coup du Scorpion de René Higuita ou le service à la cuillère de Michael Chang.
Bien
goalée cette ligne !
Parlons
tennis tiens : les amateurs de Grand Chelem connaissent tous cette
technologie, somme toute assez récente, qui consiste, après un
point litigieux, à retracer numériquement le parcours d'une balle à
la trajectoire douteuse. On peut y déceler, au millimètre près, si
l'engin à poils jaunes a bel et bien embrassé la ligne, ne fut-ce
que d'un baiser volé. Étrangement, les instances
officielles du foot semblent se refuser à intégrer au jeu ce
facteur vidéo, ou du moins s'appliquent à en retarder l'échéance.
Et l'on peut tout à fait, diront les romantiques, louer ce choix de
la faillite - potentielle - de l’œil humain face à l'irrévocable
de la machine. Les âmes chafouines, persuadées dans leur sang que le monde est corrompu jusqu'à l'os, diront aussi que tout arbitrage
vidéo peut vite compliquer la tâche d'un match arrangé ou d'un
arbitre vendu. Mais revenons à ce Brésil-Croatie, pour le coup pas
avare en faillites arbitrales, qui nous a offert sur un plateau les
prémisses d'un regard assisté par ordinateur dans le football
moderne. Cette « Goal-line technology » nous
démontre que, oui, après le CSC de Marcelo, oui, après la frappe vicieuse de
Neymar, le ballon a effectivement franchi la ligne et que, ben oui,
ça fait but. Ah, sans déconner ?
Il
fallait bien que la FIFA présente son nouveau jouet mais y avait
quelque chose de foncièrement risible à découvrir ces apartés
gadgets, qui avec tout le sérieux d'une technologie numérique,
reconstituent un fait de jeu visible par tous. Pas certain que la
Goal-line technology soit réellement utile une seule fois lors des
64 matchs, mais elle sera sans doute vue d'un bon œil par nos amis
anglais, volés d'un but en 2010 face aux allemands. Injustice assez
terrible puisque même les ralentis des écrans géants ne savaient
mentir aux yeux des joueurs, aux yeux du stade : ils repassaient en
boucle ce ballon, une minasse de Franck Lampard sur la transversale,
qui avait allègrement dépassé la ligne de but. Le football peut-il
se résumer à une histoire de lignes ? Rien de nouveau sous le
soleil : Maradona, seul Dieu vivant du foot, a depuis longtemps
validé cette hypothèse.
YLB
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