Si un jour je me retrouvais à la tête d’un grand quotidien
sportif, je crois que je l’appellerais L’Entorse.
J’ai toujours eu un problème avec le sport. Ce n’est pas
faute d’avoir essayé, croyez-moi, d’autant plus que j’avais l’impression que ça
marchait mieux avec les filles, quand on était un peu sportif. Mais dès le
départ, j’ai bien vu qu’il y avait incompatibilité totale. Il y avait, dans la
pratique sportive, plusieurs choses qui ne collaient pas avec mes compétences.
Le goût de l’effort, pour commencer. Courir me fatigue. L’idée de compétition.
Le besoin de se dépasser (je mesure 1,81 mètre. Me dépasser, c’est courir le
risque de me cogner au plafond). L’adresse. La virilité. Le groupe,
l’adversaire, l’équipe, enfin appelez ça comme vous voudrez : je suis un
solitaire, moi. Je suis un timide. À l’école, s’il m’arrivait de m’emparer par
mégarde du ballon de basket, j’étais toujours tenté de m’excuser auprès du gars
de l’équipe adverse à qui je l’avais pris. C’était plutôt gênant.
Le sportif de la famille, c’est mon frère. Disons qu’il a
les jambes et moi la tête, alouette. Le frangin, il avait fallu lui faire une
dérogation pour qu’il entre avant même d'avoir six ans chez les pupilles du Stade lavallois, ou les
poussins, enfin vous savez mieux que moi comment on appelle les plus jeunes
dans les clubs de sport… Comme il était gardien de but, quand il estimait à la
fin d’un match qu’il n’avait pas eu assez de ballons à arrêter, il se roulait
par terre pour ramener quand même un
maillot couvert de boue à la maison. Son premier péno, il l’a marqué dans le
ventre de notre mère, il paraît. Et quand il en est sorti, c’était sur
blessure. Moi je dis ce qu’on m’a raconté, je n’étais pas encore né. Si ça se
trouve, il simulait…
Moi, rien de tout ça. J’avais le tempérament artiste.
Artiste, oubliez tout de suite : avec les filles, ça vaut pas un clou. En
tout cas, les filles de ce temps-là. Des footballeurs, je pouvais à la rigueur
en dessiner. Courir derrière un ballon, par contre, je voyais pas trop
l’intérêt. Mon frère a bien essayé de me convaincre : il aurait bien aimé,
lui, avoir un cadet avec qui faire des passes ! La vie est mal
faite : du coup, il a été obligé de se faire des copains.
Il ne faut rien me demander de réaliser dans le domaine
sportif. De toute façon, je suis distrait par n’importe quoi. Un rayon de
soleil qui fait scintiller une toile d’araignée ? Paf ! J’ai déjà
pris quatre buts. Une feuille morte qui tremblote sur le bitume ? Je viens
de marquer contre mon camp. Les balles de ping-pong, je les entends, je les
vois pas passer. Le volant de badminton, je le vois bien, je le suis bien des
yeux : impossible de lui faire rencontrer ma raquette. Non, mais ne
cherchez pas, hein : je sais que ça vient de moi… Si en contrepartie,
j’étais un génie, si je vous peignais des chapelles Sixtine comme vous vous
curez le nez, bon, je ferais contre mauvaise fortune bon cœur ! Mais même
pas : je suis juste nul en sport. Sur un CV, ça fait maigre.
Alors voilà. Si un jour, je me retrouvais à la tête d’un
grand quotidien sportif, je l’appellerais L’Entorse.
Le journal sportif dédié aux gens qui ne comprennent rien au sport, et qui ont
passé leur adolescence assis sur un banc du gymnase scolaire à jouer les
remplaçants en espérant bien n’avoir personne à remplacer, jamais.
Mais loin de moi l’idée de jouer les moutons noirs,
attention ! Cette Coupe du Monde, on a toutes les chances de la
gagner : ils n’ont pas voulu de moi dans l’équipe…
Raphaël Juldé – 24e
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